Série :


FICHE TECHNIQUE



Année : 1991-92
Pays : USA
Catégorie(s) : Animation, Science fiction
Thèmes : Extra-terrestres, Guerre, Maladie mortelle, Paradis.
Genre : Oh mon Dieu, ils ont tué Æon!
Acheter la série : Amazon, Ebay.



SÉRIE


Le 30 novembre 1991, un véritable ovni animé débarque sur la chaîne musicale MTV sous la forme (et surtout les formes) d'Æon Flux, une mercenaire futuriste au look de dominatrice et à la coiffure improbable créée par le sud-coréen Peter Chung avec pour mot d'ordre de toujours prendre le contre-pied des attentes du spectateur.


Ça commence bien: le spectateur ne s'attendait pas du tout à cette coiffure.

Æon Flux débute sous la forme d'une mini-série de 6 épisodes hebdomadaires de 2 minutes qui seront ensuite compilés en un court métrage de 12 minutes considéré comme la saison 1 ou le pilote de la série selon les cas. Malgré l'absence totale de dialogues, on comprend que l'action se déroule dans le futur et dans le cadre d'un conflit entre deux nations (On apprendra dans la saison 3 qu'il s'agit de Bregna et de Monica) et qu'Æon est une soldate monicane chargée d'abattre le dirigeant de Bregna.


Où Æon passe ...


... les sbires trépassent.

Et rien qu'avec ce postulat de départ, Peter Chung commence déjà à brouiller les perceptions du spectateur sur qui sont les gentils et les méchants de son histoire. Certes, Æon étant le personnage central, on assume d'entrée de jeu qu'elle est l'héroïne; mais est-ce bien certain? Après tout, elle et les autres Monicans portent des tenues SM en cuir sombre, habituellement réservées aux bad guys, tandis que les soldats masqués (et donc déshumanisés) de Bregna qu'elle dégomme par centaine durant le premier chapitre sont humanisés dans le suivant où on voit les rares survivants retirer leurs masques pour pleurer leurs camarades morts. Et re-belotte un peu plus tard lors d'un journal télévisé où on découvre les réactions de leurs familles (6 ans avant que Mike Myers n'en fasse un running gag dans Austin Powers!).


Mais pourquoi personne ne s'inquiète de la famille des hommes de main?

Mais la plus grosse surprise pour le spectateur a lieu à 1mn30 de la fin quand, après avoir consacré l'essentiel du DA à nous dépeindre Æon comme une combattante invincible et infaillible, sorte de fille cachée de Bob Saint-Clar et de Mary Sue, Peter Chung la fait mourir comme une merde à deux mètres de sa cible, tombant d'un immeuble après avoir marché sur un clou!


Faute d'un clou ...


... l'héroïne fut perdue.

Et histoire de l'humilier encore plus, on découvre ensuite que sa mission n'aurait de toute façon servi à rien puisque le dirigeant de Monica est destitué (peut-être même assassiné par un(e) autre, la scène étant ambiguë) et remplacé par Trevor Goodchild (on peut lire son nom sur la signature de billets de banque à son effigie), un scientifique devenu un héros national après avoir trouvé un remède à une épidémie mortelle.


L'ancien dirigeant a perdu la face.


Place au nouveau!

Æon Flux est donc bien une série totalement atypique qui ne ressemble à rien de ce qu'on avait vu auparavant (et même à rien de ce qu'on a vu ensuite) en terme de scénario qui détourne les codes du genre et d'univers dont une grande partie est laissée à la libre interprétation du spectateur en l'absence de dialogues explicatifs, sans parler de certains passages bizarres, surréalistes et/ou dérangeants comme l'endroit où se retrouve Æon après sa mort, les hallucinations cartoonesques des victimes de l'épidémie ou Trevor insérant un insecte dans son doigt pour se faire ensuite une tartine avec le contenu de la plaie.


Bon appétit!


L'hallucination.


Et la réalité.

Tout aussi atypiques sont les musiques de Drew Neumann et l'univers visuel de Peter Chung qui multiplie les machines et architectures inédites parmi lesquelles évoluent des personnages longilignes aux tenues insolites, à commencer par son héroïne accomplissant ses missions à moitié nue pour, dixit son créateur, lui permettre de s'exprimer autant par le langage corporel que par les expressions faciales.


Mais bien sûr!

Ce que Peter Chung n'avait pas prévu, c'est que sa création remporterait un tel succès que la chaîne lui commanderait une suite. Seul problème: comment ramener l'héroïne après avoir clairement établi qu'elle était morte? Car il ne s'était pas contenté d'une mort ambiguë où on aurait pu penser qu'elle n'était que blessée: on voyait ensuite ses supérieurs détruire à distance son corps et son appartement, puis Æon arriver dans un Au-Delà où elle se faisait lécher les pieds par un humanoïde à la peau bleue.


L'Au-Delà selon Æon Flux.

Plutôt que de s'en sortir avec une pirouette du style: "elle l'avait fait exprès de dire qu'elle était morte", "c'était pas la vraie Æon en fait" ou "elle avait une sœur jumelle", Peter Chung allait décider d'en faire un gimmick de la série en tuant Æon à chaque épisode, telle une Kenny McCormick avant l'heure.


- Oh mon Dieu, ils ont tué Æon!
- Espèces d'enfoirés!

Dans ces conditions, Chung n'a pas à se soucier d'instaurer une éventuelle continuité et Æon, qui était présentée comme une soldate de Monica dans la saison 1 et le premier épisode de la 2, War, deviendra ensuite une mercenaire exécutant ses contrats sans réelle allégeance.


Comment transmettre un message à quelqu'un tout en lui roulant une pelle.


Votre mission, si vous décidez de l'accepter ...

Et c'est pareil pour le seul autre personnage récurrent de la série, Trevor Goodchild, présent dans chaque épisode sauf un (il est absent de War) où il est, selon les cas, l'amant d'Æon, son commanditaire, son ennemi, son esclave sexuel ou son meurtrier. On espère d'ailleurs que la règle d'immortalité de l'héroïne s'applique également à lui car il se fait occire dans le dernier épisode.


Ce n'est pas comme ça que je voyais le coup de l'amant dans le placard.


Se faire descendre dans un ascenseur: logique.

Chacun des 5 épisodes de la saison 2 raconte donc sa propre histoire avec toujours comme objectif principal d'aller à l'encontre des attentes du spectateur. Ainsi, la première moitié de l'épisode 2, Gravity, met en place une intrigue et des personnages ... que la suite oublie pour se consacrer à Æon tentant de survivre à une chute d'un avion tout en essayant de découvrir ce qu'une mystérieuse équipe tente de récupérer au fond d'un ravin (Une autre caractéristique d'Æon Flux est qu'elle a BEAUCOUP de mal à rester concentrer sur ce qu'elle fait). Étant donnée son incapacité à réussir ses missions, vous vous doutez que dans les deux cas, ça se soldera par un échec critique de sa part.


Æon Flux se prend pour Vil Coyote.


Même elle semble se dire "Non mais quelle conne!"

Même chose avec l'épisode 1, War, dans lequel Æon est rapidement abattue par un soldat ennemi qui devient le personnage central de l'histoire jusqu'à ce qu'il soit à son tour tué par un adversaire qui devient à son tour le personnage central, et ainsi de suite ... Un excellent exercice de style qui pousse encore plus loin que le pilote l'idée de brouiller la vision manichéenne des conflits en présentant une succession de héros charismatiques s'opposant dans une lutte à mort mais ayant presque tous en commun la volonté de protéger ou de secourir des êtres chers, rendant impossible de désigner les "bons" et les "méchants" de l'histoire.


Des scènes d'action qui déchirent ...


... dans une série qui décoiffe.

On a un autre brillant exercice de style dans le dernier épisode, Tide, où Æon doit récupérer un objet (dont l'utilité ne sera révélée que dans le plan final) à l'aide d'une clé dont le numéro a été arraché, l'obligeant à la tester à chaque étage où s'arrête l'ascenseur dans lequel elle se trouve en compagnie de Trevor et d'une agente double, la particularité de l'épisode étant d'utiliser à chaque étage la même succession de plans avec la même durée tout en montrant des actions différentes à chaque fois.


Ils pensent quand même à changer les numéros et à rapprocher le sol à chaque étage.


Æon, Trevor et une agente double sont dans un ascenseur et non, ce n'est pas le début d'une blague.


La clé du mystère.


À quoi peut bien servir ce truc? J'aurais bien une idée, mais c'est beaucoup trop gros.

En France, certaines personnes dont moi eurent la chance de découvrir le pilote et certains épisodes de la saison 2 sur Canal + dans l'émission L'Œil du Cyclone, puis en 1996 à l'occasion de la sortie en France d'une VHS regroupant la quasi-totalité des deux premières saisons (il manquait curieusement l'épisode Mirror) et une partie de la troisième. Finalement, en 2005, à l'occasion de la sortie de l'adaptation live avec Charlize Theron, la série eut droit à une intégrale en DVD enrichie de commentaires audios et portant la mention "director's cut", Peter Chung en profitant pour restaurer certaines scènes et dialogues qui avaient été censurés lors de la diffusion sur MTV et pour refaire les couleurs avec un rendu et des effets spéciaux plus modernes.


Avant/Après.


Pour comparer les deux versions, il ne vous reste plus qu'à vous procurer les vieilles VHS US.



BILAN


Concept = 5 / 5
Malgré la présence de deux personnages récurrents et un univers visuel qui est le même d'un épisode à l'autre, les deux premières saisons d'Æon Flux fonctionnent comme une anthologie de SF particulièrement imaginative s'amusant à détourner les codes du genre pour aller systématiquement contre les attentes du spectateur.



Scénario ≈ 4,9 / 5
Le côté anthologique de ces deux saisons fait qu'on peut voir dans n'importe quel ordre leurs épisodes aux intrigues inventives, souvent surprenantes et permettant parfois de brillants exercices de style. (Voir la section Épisodes pour plus de détails. La moyenne est arrondie à la décimale la plus proche.)



Héroïne = 5 / 5
Soucieux de tordre le cou aux codes des séries d'action, Peter Chung fait d'Æon Flux une héroïne apparemment infaillible aux capacités physiques exceptionnelles mais qui échoue systématiquement dans ses missions avant d'y laisser la vie.



Autres personnages = 3,8 / 5
Les plus réussis sont les héros successifs de l'épisode 1, les autres étant surtout là pour servir de moteur à l'intrigue en jouant le rôle de cibles à abattre pour l'héroïne (qui ne les atteint jamais), ce qui n'empêche pas de croiser quelques personnages mémorables comme RU-486 ou l'extraterrestre. Quant à Trevor Goodchild, c'est pratiquement un personnage différent à chacune de ses apparitions.



Costume(s) = 5 / 5
Évidemment, les spectateurs retiennent surtout les tenues minimalistes de dominatrice de l'héroïne mais il ne faudrait pas négliger celles des autres personnages, originales et imaginatives.



Technologie = 5 / 5
À la fois futuristes, originaux et fonctionnels, les véhicules et la technologie qu'on croise dans la série sont tous réussis et renforcent la crédibilité de l'univers.



Décors = 3 / 5
Des étendues désertiques côtoient des architectures aussi démesurées que froides et aseptisées mais la série manque de décors réellement mémorables.



Graphismes et animation = 4,5 / 5
L'animation est fluide et le graphisme de Peter Chung est immédiatement reconnaissable avec ses personnages longilignes à l'anatomie torturée. On ne peut hélas nier certains soucis de proportions et de raccourcis, en particulier lors des plongées/contre-plongées.



Musiques = 5 / 5
Les excellentes compositions de Drew Neumann contribuent à l'ambiance futuriste et atypique de la série.



Générique(s) = 5 / 5
On a un aperçu de l'étrangeté de la série dès le générique où Æon capture une mouche à l'aide de ses cils, à la manière d'une Dionée attrape-mouche.




NOTE FINALE = 18,1 / 20